Entre virtuosité et amusements, il existe des formes littéraires qui finissent par susciter le sourire à force d’avoir été trop pratiquées. Mais la littérature aimant les tourbillons pleins d’imprévus, il arrive que ces vieilles formes rejaillissent comme un large fleuve majestueux après avoir traversé plusieurs siècles sous l'allure d'un maigre ruisseau banal. Presque invisible à force de transparence, il semble que l’acrostiche ait suivi ce parcours. Après avoir été le passage obligé d’une haute élégance symbolique dans l’antiquité (on trouve des acrostiches chez les Grecs les Hébreux et les Romains), cette forme textuelle aurait fini par prendre selon l’opinion des professeurs amateurs de beau style l’allure d’une vieillerie démodée tout juste bonne à amuser les écoliers, comme une broderie baroque qui pourrait encore servir à fabriquer des rideaux à moindres frais.
Dans une lettre adressée à Louise Colet le 7 octobre 1852, (source: Université de Rouen) Gustave Flaubert l’aborde comme un symbole de régression vers une écriture désuète : « Maintenant nous allons retourner aux petits amusements des anciens jésuites, à l’acrostiche, aux poèmes sur les cafés ou le jeu d’échecs […] je suis fâché de ne pas savoir ce qui se passera dans cent ans. Mais je ne voudrais pas naître maintenant et être élevé dans une si fétide époque. » Qu’est-ce qui dans l’acrostiche pouvait justifier cette hargne de Flaubert alors que le Second Empire commençait à peine à balbutier ? Cent-soixante-dix ans après cette lettre de Flaubert, peut-on encore considérer l'acrostiche comme une forme régressive?
De la réponse à ces deux questions, nous pourrons peut-être comprendre pourquoi ce terme évoquait pour Flaubert cette idée de moisissure où son siècle aurait basculé. Mais avant d’approfondir ce sujet, il convient de délimiter le champ que l’on va parcourir. Selon le « Trésor de la Langue française », l’acrostiche est une « pièce dont les vers sont disposés de telle manière que la lecture des premières lettres de chacun d’eux, effectuée de haut en bas, révèle un nom, une devise, une sentence, en rapport avec l’auteur, le dédicataire, le sujet du poème, etc. »
De cette définition il découle trois idées importantes :
1° L’acrostiche semble relever de la poésie : il implique des vers, donc une versification. La versification est en général considérée comme un signe extérieur de langage poétique.
2° L’acrostiche propose un sens de lecture inhabituel. La langue française se lit généralement horizontalement et de gauche à droite. L’acrostiche propose une lecture verticale de haut en bas. Cette caractéristique le rattache à une forme d’acrobatie verbale et à une lecture qui n’est pas immédiate, à une écriture qui n’est pas sans virtuosité.
3° L’acrostiche peut concerner une foule de domaines : du nom propre d’une personne à qui l’on veut rendre hommage en passant par le thème du poème en allant jusqu’à explorer tous les infinis possibles qu’ouvre cette merveilleuse locution finale : « etc. » (et caetera).
Ces trois idées simples que l’on pourra compliquer en les approfondissant laissent supposer que l’acrostiche n’est peut-être pas qu’un simple amusement.